Vincent Labaume
Après des études de philosophie et un cheminement
de recherche auprès de l’école "déconstructionniste" de Strasbourg, il s'éloigne
de la philosophie universitaire tout en poursuivant à sa manière une conduite
déconstructrice vitale et sans diplôme. Ennemi des séparations et des autorités,
sa pratique vise à introduire dans chaque discipline ou dimension investie,
un virus polygraphique spécial, une filature du détail grinçant qui en submerge
les contraintes, en emporte les conventions, et en relance la fable "ânarchique",
ce pur partage d'un moment d'extase historique, où l'événement créatif transit
tous ses témoins.
Praticien autonome du langage et des formes, il est tour à tour : bibliographe,
poète publicitaire, diffuseur d’ambiance culturelle, critique d’art, enquêteur
et biographe, producteur et animateur de radio, performer et plasticien.
Le Nouvel Evangym ou
Gym et détente, ce que mon corps me doit.
"Aux prophètes et illuminés de l’histoire, j’ai toujours préféré Diogène
: le plus direct des performers. Il ne donnait ni leçons ni prêche, mais il
reproduisait fidèlement ce que tout le monde faisait avec cette seule différence
qu’il le faisait devant tout le monde : manger, dormir, se laver, faire ses
besoins, se masturber, penser… Et de la façon la plus dépouillée qui soit, avec
le moins d’accessoires possibles. Ainsi, ayant vu un enfant manger des lentilles
en creusant son pain, il jeta son écuelle. De même vivait-il nu quand le temps
le permettait. Sur son exemple illustre, je me suis pris à imaginer une de mes
séances de gymnastique quotidienne exécutée pour une fois en public. Les mouvements
que j’y effectue ne présentent pas de remarquables difficultés, ni ne nécessitent
de surentraînement : ils demandent seulement une pratique assidue. C’est un
morceau d’entretien physique plus que d’exploit, qui trahit une volonté de remise
en forme après des années de laisser-aller. La quarantaine, sans doute… Les
alertes cardiaques aussi… Bref, une tentative de reconquête de mon corps musculaire,
avant les délabrements de l’âge.
Toutefois, selon une ironique
mise en garde de Kafka dans sa nouvelle Joséphine la cantatrice ou le peuple
des souris, je ne m’imagine pas intéresser un public à la seule représentation
d’une séance de gymnastique en soi fort commune. Pour mémoire, un extrait de
cette mise en garde profonde :
« Casser une noix n'est vraiment
pas un art, aussi personne n'osera-t-il jamais convoquer un public pour le distraire
en cassant des noix. S'il le fait cependant, et que son intention se voie couronnée
de succès, c'est qu'il s'agit au fond d'autre chose que d'un simple cassement
de noix. Ou bien, s'il ne s'agit que d'un cassement de noix, c'est qu'il est
apparu que nous n'avions jamais pensé à cet art parce que nous le possédions
à fond, et que le nouveau casseur de noix nous en a révélé la véritable essence,
et pour cela il peut être nécessaire qu'il soit un peu moins adroit que nous.
»
Aussi, ma maladresse personnelle étant ce qu’elle est, j’ai conçu de rendre
cette représentation plus singulière en l’accompagnement d’une bande-son à ma
façon, censée procurer à cet acte solitaire un sens que son accomplissement
seul ne délivrerait sans doute pas. Une sorte de mixage mental sera donc rendu
audible, transformant cette séance en une geste poético-philosophique et tentant
de rendre sensible à tous, je l’espère, le véritable sens de la gym."